Saisons d'écriture

 Depuis Les Dents de la Mer, de Steven Spielberg, et Star Wars de George Lucas, on parle de blockbuster concernant un film hollywoodien à grand spectacle destiné à un public international. Le budget est colossal, le casting réunit les acteurs et actrices les plus aimés du grand public, les effets spéciaux et les scènes d'action occupent une place centrale, et le gentil gagne toujours à la fin.

Ces films ont dominé le cinéma depuis 40 ans. Selon les médias, les blockbusters américains sont néanmoins en perte de vitesse. Et pour cause, depuis la sortie du livre de Blake Snyder, en 2005, sur l'écriture de scénario à succès, les blockbusters se ressemblent de plus en plus, car les scénaristes utilisent le livre de Snyder comme une bible et appliquent ses commandements minute après minute. Du coup, pour le spectateur habitué à les regarder, il finit par se lasser, car on arrive à deviner la suite de l'histoire.

De surcroît, le blockbuster américain véhicule les idéaux et la propagande de l'impérialisme américain : le monde entier est vu comme américain, les intérêts des U.S.A. sont donc les intérêts du monde, pour sauver le monde lors des crises, il faut s'en tenir à un homme seul, les discussions font perdre du temps, l'armée américaine et le président sont encensés, etc.

Pour illustrer mon propos, j'ai imaginé en moins d'une heure une histoire inspirée des pires blockbusters et vous l'aurez certainement vu cela quelque part...

John est un jeune homme sans grand avenir, c'est un looser.

Un jour, son père disparu depuis vingt ans refait surface et lui annonce qu'il est le seul à pouvoir sauver le monde de Super Méchant, un machiavélique génie du mal qui a pour but de détruire la civilisation humaine.

John hésite tout d'abord à partir avec son père, d'abord il ne le connaît pas, et puis il ne veut pas laisser sa mère toute seule.

Néanmoins, comprenant qu'il est l'élu que les prophéties ont annoncé depuis la nuit des temps, John décide de tenter l'aventure et rejoint son père dans son combat.

Celui-ci lui présente Pouffia, sa jeune assistante, car le père dirige un laboratoire secret. Dès leur premier regard, ils sont attirés irrésistiblement l'un vers l'autre.

John rencontre aussi Brown, un noir, agent de la CIA, qui se bat pour défendre l'Amérique et le Monde contre les méchants (rire). Il rencontre aussi Buffon, un gros maladroit poursuivi par la poisse, ce qui provoque l'hilarité à chaque fois. Son père se révèle être alcoolique à tendance bipolaire, il se justifie les larmes aux yeux d'avoir abandonné sa mère et son fils, afin de protéger le monde de Super Méchant, lequel était en fait son ancien camarade d'un programme TOP SECRET de la CIA, destiné à l'origine à lutter contre le MAL. John découvre ainsi qu'il possède des super pouvoirs et qu'il est le seul à pouvoir arrêter Super Méchant.

Pendant ce temps, Super Méchant s'apprête à détruire Los Angeles. John intervient avec ses nouveaux amis et ensemble, après un combat épique et spectaculaire, ils parviennent à capturer Super Méchant.

Ils l'enferment dans la prison de leur laboratoire afin de bloquer ses pouvoirs.

Alors qu'ils croient avoir gagné, ils font la fête. Au cours de celle-ci, John se retrouve avec Pouffia au clair de Lune, ils sont sur le point de s'embrasser lorsque l'alarme retentit dans le laboratoire. Super Méchant parvient à manipuler Buffon qui le libère dans le laboratoire. Super Méchant s'empare d'un engin volant surpuissant doté des dernières armes secrètes, le père de John tente de l'en empêcher et est blessé mortellement, tandis que Pouffia est capturée et que John est laissé pour mort dans les décombres du laboratoire détruit. Super Méchant s'envole dans les airs dans le but d'anéantir le monde entier.

John se réveille, il a six côtes cassées, huit blessures ouvertes, la gueule cabossée, mais il n'en a cure, il assiste aux derniers instants de son père mourant sous la pluie. Brown lui annonce que tout est perdu, la seule solution réside maintenant dans les ogives nucléaires qui détruiront la moitié de l'humanité au passage. John veut l'en dissuader, en vain, Brown est prêt à tout, pour sauver le monde du joug de Super Méchant. Comme si cela ne suffisait pas, il se prend la tête avec Buffon, car ce dernier croyait être son ami et que John l'envoie péter, mais il le regrette aussitôt.

John se promène au bord d'un lac, médite quelques heures au soleil levant, téléphone à sa mère pour prendre de ses nouvelles. Celle-ci le réconforte. John raccroche et sait maintenant qu'il est en mesure d'affronter Super Méchant. Il se relève déterminé comme jamais, ce n'est plus le gamin looser du début.

John retrouve Buffon et ensemble, ils volent vers l'engin volant de Super Méchant. John saute depuis son avion à 15000 mètres d'altitude sur la plate-forme volante, s'agrippe à l'acier, et doit combattre les sbires de Super Méchant. Au même moment, Super Méchant menace New York, il lui suffit d'appuyer sur un bouton pour que la ville soit rayée de la carte en quelques secondes.

Mais John surgit alors que le compte à rebours d'une minute commence. S'ensuit un combat épique entre Super Méchant et John. A 30 secondes de la fin, Super Méchant menace d'exécuter Pouffia et John jette ses armes à terre, préférant épargner la vie de son amie pour permettre à Super Méchant d'exterminer des millions de personnes. A 15 secondes de la fin, Buffon, risquant le tout pour le tout, heurte l'engin volant avec son avion, provoquant une secousse qui permet à John de sauter sur Super Méchant. A 5 secondes de la fin, John jette Super Méchant dans le vide, lequel s'écrase lamentablement. Pouffia crie, leur engin s'apprête à tirer, mais John grâce à ses super pouvoirs, parvient à détruire le système de mise à feu et sauve New York.

Puis, il prend Pouffia dans les bras et saute hors de l'engin sur le toit d'un gratte ciel tandis que l'engin s'écrase dans la mer. C'est là, qu'ils s'embrassent enfin à pleine bouche.

FIN

Voilà, j'ai mis la plupart des clichés des blockbusters : la structure narrative, pleine de rebondissements-ultra-clichés, et le rôle des différents personnages. Le père, c'est le mentor (Obiwan Kenobi, Morpheus, Gandalf...), Pouffia, c'est le rôle réservé aux femmes dans les blockbusters, à savoir la récompense du héros, Buffon, c'est le bouffon de service qui est là pour apporter une note d'humour, quant à Brown, c'est le mec issu d'une minorité (noir, latinos, asiatique, ou indien), il est soit membre d'un gang, soit dévoué corps et âme au gouvernement américain.

Merci aux scénaristes de nous occuper l'esprit sans fatiguer notre cerveau pour le prix prohibitif d'une place de cinéma.

Pour les scénarios de vos romans, le principe est le même car de plus en plus d'auteur(e)s s'inspirent desdits blockbusters. Combien de romans fantastiques ou fantasy ont un ou une élu(e) annoncé(e) par les prophéties, ainsi qu'un super méchant que rien n'arrête, excepté une bande d'aventuriers ? Par pitié pour les pauvres lecteurs, essayez d'être un tant soit peu originaux.

N.B. : si un réalisateur hollywoodien est intéressé par mon scénario, je suis tout prêt à le vendre pour la modique somme de 5 millions de dollars US.